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Andy Warhol : la figure "pop"


1. Le personnage "pop"

Si Andy Warhol est le premier artiste auquel pense lorsque l'on parle du Pop Art, c'est bien parce qu'il incarne véritablement le mouvement auquel il s'est rattaché. Avant la grande époque de « la Factory », il a longtemps travaillé dans la publicité. Des maquettes de produits aux chaussures de luxe en passant par les magasines de mode, il exerçait son don pour le dessin dans les milieux commerciaux tout en recevant les signes d'une reconnaissance précoce. Ses chaussures vont lui permettre d'exposer au Museum of Modern Art, mais déjà il s'est fait un nom dans les milieux chics de la mode.

Son expérience de la publicité le place en première ligne pour comprendre l'avènement d'une société en pleine mutation et l'importance croissante qu'elle accordait à l'image. Warhol grandit dans les années d'après guerre, voit naître la société de consommation et saisit avant tout le monde les enjeux du nouvel univers visuel qu'elle engendre. Lorsqu'il commence à peindre, il a compris et assimilé l'impact de l'imagerie publicitaire sur des millions de consommateurs. Il pressent son potentiel stratégique au niveau artistique et les nombreux concepts nouveaux qui pourraient découler d'une démarche qui l'utiliserait comme support. Et évidemment, ce fut un succès immense et quasi immédiat.

De cette façon, il transformait le plaisir esthétique en connaissance et par conséquent favorisait l'autonomie des publics en leur donnant accès à des capitaux culturels bien plus riches.

A la manière des premières stars érigées en icônes, il a su se façonner un personnage unique, mystérieux et envié, qui devient rapidement le représentant principal du mouvement aux yeux du public. Ses multiples participations dans les différents domaines artistiques lui ont valu une plus forte représentation sur la scène publique et grâce à sa connaissance des mass médias naissants, il joua finement de sa représentation médiatique. Il se montrait mais pas trop, juste assez pour créer l'évènement lorsque c'était le cas.

Toujours l'air distant ou détaché, il parlait peu, et s'attachait à conserver la part de mystère des grandes célébrités pour attiser un peu plus la curiosité qu'il suscitait. De plus, la perruque blanche devenue légendaire, associée à son attitude publique constante donnait l'image du « dumb blond », qui peu après l'époque Marilyn, était connoté très positivement.

Il se conceptualise lui même en personnage « pop », en produit de consommation, notamment avec la série des autoportraits, dans lesquels il s'applique le même traitement qu'à toutes les autres "images/icônes" : fabrication, travestissement, reproduction et recyclage.

Car s'il s'est profondément interrogé sur le monde et ses représentations dans l'imaginaire collectif, il s'est également interrogé sur lui même et sa représentation sociale.


2. La représentation de l'objet


Le 4 juin 1962, le journal à grand tirage The New York Mirror publie la photo de la plus grave catastrophe aérienne jusqu'alors. Cette reproduction, plus que l'accident, fit jaillir l'étincelle créatrice. Warhol projeta sur la toile la photo du journal, en reprenant aussi le chapeau et la manchette annonçant en lettre capitale 129 DIE IN JET!.

Le monde de la photographie, plus profondément encore que les bandes dessinées, les marques des articles de consommation ou encore les peintures de « l'art noble », détermine la physionomie de la réalité perceptible. La photographie reproduit ce que nos yeux perçoivent avec plus de véracité que n'importe quel médium et éternise en quelque sorte ce qui est visible. Warhol a remarqué l'influence croissante de la photo et du cinéma sur les esprits des gens, modelant leur perception de la réalité. Le monde de l'art de l'époque voyait d'un mauvais oeil la photographie, mais l'importance dérisoire qu'elle y attachait ne pouvait que mieux servir les objectifs novateurs de l'artiste.

Dans 129 DIE, c'est la réalité d'un moyen de reproduction qui s'avère à son tour être un fragments de réalité qui est montré. Par sa parution à des millions d'exemplaires, c'est une réalité "d'occasion", celle des mass médias, des magazines et des panneaux publicitaires, du cinéma et de la télévision, qui triomphe peu à peu de la réalité empirique.

La réalité que Warhol met en image est d'abord celle du journal qu'il manie dans la logique de sa démarche artistique comme une réalité autonome, et en second lieu seulement, la réalité transmise par l'information de la chute d'un avion et ses conséquences tragiques. En isolant et en grossissant des éléments symptomatiques des mass médias, Warhol fait prendre conscience du fait que toute perception de la réalité n'est que "de seconde main". La réalité produite en masse et apprêtée pour être facilement assimilable, y perd son horreur et peut ainsi être consommée massivement. Il reproduisit entre autres des accidents spectaculaires, et des émeutes raciales.

Lorsqu'il réalisait qu'une image reproduite en masse ou un article d'usage quotidien possédait des traits symptomatiques et pouvait être interprétée comme un miroir de la conscience collective, comme modèle de relations dans lequel fusionnait de nombreuses convictions communes, alors il reproduisait. Et il n'est pas donné à chaque image ni a chaque produit d'incarner cet esprit collectif, de réunir suffisamment d'idées et de convictions pour réaliser une phénomène culturel. Or, son immense succès prouve la finesse de ses choix.

Le succès est une des valeurs les plus exacerbée par la société américaine. Elle répond à l'idéal du « self-made man » et trouve de très nombreux représentants dans les grandes stars qui peuplent l'actualité de l'époque. Elvis Presley, Marylin Monroe, Elizabeth Taylor ou encore Ginger Rogers étaient autant de personnages idéalisés et érigés en symbol de la société américaine, des possibilités de réussite qu'elle offrait.

Warhol mettait en exergue les figures mythiques qui faisait réver et incarnait en quelque sorte par procuration la réussite de chacune d'elles. Sa patte caractéristique se superposait aux images archi-connues des célébrités : par le matraquage médiatique l'image perd sa substance et sa stylisation très reconnaissable accorde l'entièreté du succès à l'artiste.

On retrouve le thème de la « femme fatale » des films hollywoodiens dans nombre d'oeuvres pop : Les blondes pulpeuses des tableaux de Lichtenstein et Wesselman reprennent le topos, et les Velvet Undergroud, dont la chanteuse a été imposée par Warhol, ont intitulé l'un des morceaux de l'album « à la banane » Femme Fatale.

Cependant, ce qui reste son travail le plus connu reste les reproductions de produits manufacturés de consommation directe : les boîtes de soupe Campbell's, les pots de Ketchup Heinz, les bouteilles et capsules de Coca, les boîtes de lessive Brillo, etc... Ces éléments tirés du quotidien questionnent à la fois la société de consommation et la représentation de l'objet dans l'art. Warhol repousse les limites des sources d'inspiration en mettant en valeur ce qui est le plus proche de nous, des produits courants à travers lesquels chacun peut se reconnaître. Il l'exprime ainsi :

"Ce qui est formidable dans ce pays, c’est que l’Amérique a inauguré une tradition où les plus riches consommateurs achètent en fait la même chose que les plus pauvres. On peut regarder la télé et voir Coca-Cola, et on sait que le président boit du Coca, que Liz Taylor boit du Coca et, imaginez un peu, soi-même on peut boire du Coca. Un Coca est toujours un Coca, et même avec beaucoup d’argent, on n’aura pas un meilleur Coca que celui que boit le clodo du coin. Tous les Coca sont pareils et tous les Coca sont bons. Liz Taylor le sait, le président le sait, le clodo le sait, et vous le savez."

Néanmoins, il apparaît relativement critique en plaçant sur un pied d'égalité, c'est à dire en reléguant au statut de produit de consommation, les conserves de soupe et les grandes stars du cinéma et pire encore, Mao et Jacky Kennedy. Cet amalgame traduit de la même manière la distance de la presse vis à vis de la réalité. Mais il dénonce aussi l'utilisation stratégique des médias de masse par les autorités politiques, qui, par conséquent font primer l'image et la représentation sur l'engagement.


3. Démocratisation culturelle ou culture de masse?


Les oeuvres de Warhol, comme de la plupart des artistes pop, trouvent une part de leur source dans l'oeuvre et les principes de Marcel Duchamp. Ce représentant du mouvement DADA des années 1920's, a lutté toute sa vie pour une nouvelle forme d'art libéré du carcan des élites intellectuelles. Il prône une démocratisation de la culture qui supposerait une remise en cause complète de la notion d'art et de ses enjeux.

A son tour, Andy Warhol remet en cause l'ésotérisme de l'art représenté par ses proches contemporains, les expressionnistes abstraits. La en valeur des produits phare du consumérisme ainsi que ses moyens de facture et de représentation sont orientés de façon à ce que l'objet de l'oeuvre soit accessible à tous. En se fondant sur cette imagerie quotidienne, commune, il favorisait l'accès à des publics plus larges desquels il augmentait les capitaux culturels.

Les procédés de fabrication sont ceux de produits commerciaux : utilisation de la sérigraphie et de peintures et laques destinés à l'industrie automobile; de même, la démultiplication des images publicitaires et leur reproductions « artistique » leur confère un caractère omniprésent. Cette industrialisation de facture est très novatrice, donc très contestée : l'oeuvre que l'artiste ne touche pas lui appartient elle toujours ? Est-ce toujours une oeuvre d'art ?

On retrouve là les mêmes questions soulevées par les ready-made de Duchamp. Mais il faut souligner la cohérence qui parcourt Warhol et son oeuvre : il part de la publicité pure, l'intègre à l'univers artistique et donne à ses oeuvres (dans leur réalité, leur facture et leur concept) ainsi qu'à lui même, l'apparence d'un produit de consommation.

Il semble que s'il a appliqué de manière réfléchie et évolutive, des principes de fonctionnement qu'il a seul pressenti, il a tout de même favorisé l'aspect esthétique des réalisations. Mais, peut on dire que son oeuvre soit dépourvue de réflexion artistique?

Pas du tout. Il a véritablement innové dans la forme comme dans la conception de l'oeuvre sa réalisation et sa diffusion. Il remet aussi en cause la place de l'objet, de l'image et de l'art dans le quotidien et les systèmes de représentations convenus.



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